Avez-vous déjà remarqué à quel point les goûts musicaux peuvent être un marqueur d’individualité ? Que deux personnes, avec une base a priori similaire, peuvent avoir des titres très différents dans leur playlist ? Il y a quelques années, un tel phénomène aurait été beaucoup plus dur à observer, ou du moins pas au niveau de l’individu : les fans de musique pouvaient être catégorisés en groupes, mais cela s’arrêtait là. Il n’y avait cependant pas besoin d’aller plus loin car la découverte se faisait quasi exclusivement via les médias mainstream (télévision, radio, presse écrite puis progressivement web) présentant des sélections linéaires.
En tant que fan de musique indé, j’ai appris à identifier les médias et journalistes plus à même de me présenter du contenu en accord avec mes attentes et ainsi resserrer l’entonnoir. Puis, lorsque je suis passée par la case label, j’ai eu la chance d’avoir des personnes en chair et en os capables de me dire que si j’aimais X et Y, et tel morceau de Z, alors je devais absolument écouter cet album oublié de la discographie d’un petit génie américain, pourtant hors de ma zone de confort. Il va sans dire que tout le monde n’a pas une telle énergie à dépenser pour trouver en continu de la musique qui lui corresponde. C’est là que les plateformes de streaming sont une petite révolution, et la raison pour laquelle nous avons décidé de consacrer un article à la manière dont Deezer, le pionner du marché, a centré son produit sur la personnalisation et recommandation de contenu.
Lorsque les plateformes de streaming ont fait leur apparition, je me souviens que le principal argument mis en avant dans leurs campagnes marketing était celui de la profondeur de catalogue. Contrairement à votre vieil iPod ou vos étagères de CD et vinyles, ici pas de problème de stockage, pas de choix à faire entre le dernier single à la mode et les albums hérités de vos parents : votre abonnement mensuel vous donnait accès à l’intégralité du catalogue, et déjà à l’époque on parlait en milliers de titres. La compétition entre un Deezer et un Spotify se jouait alors entre les différentes formules proposées et la richesse du catalogue en question.
Au fil des années et des nouveaux entrants sur le marché (Apple Music, Qobuz, Tidal, …) nous avons assisté à un alignement des offres et des catalogues. Les enjeux d’acquisition, conversion et de rétention se sont donc recentrés sur le Produit en lui-même. Dans un premier temps (première partie des années 2010), Deezer mettait ainsi beaucoup en avant la disponibilité du catalogue en multi-device et en mode offline. Depuis environ 5 ans, l’accent a été mis sur les deux caractéristiques qui nous intéressent aujourd’hui : la personnalisation et la recommandation. Nous pouvons par exemple mentionner la campagne de 2016 – « Offrez-vous toute la musique que vous aimez…Et celle que vous n’aimez pas encore » : nous comprenons à travers cette accroche que le produit est suffisamment bien pensé pour faire des propositions pertinentes à l’utilisateur, l’aider à sortir des sentiers battus…et le faire adhérer à ses choix. L’individualisation de l’expérience est un élément clé dans le processus d’acquisition client, mais il intervient encore plus dans la phase de rétention.
Comme nous l’a expliqué Thomas Bouabça, Head of Recommandation, le travail effectué par Deezer en la matière pourrait se résumer en deux grandes catégories : les playlists générées par l’algorithme, et celles créées par les fameux « Editors » de Deezer.
Dans la première catégorie, nous retrouvons 3 familles :
– Flow : LA fonctionnalité au cœur du produit, qui permet à Deezer de se différencier de ses concurrents en terme de recommandation. Il s’agit d’une playlist en mix infini mélangeant des titres likés par l’utilisateur (côté rassurant) et des découvertes poussées par l’algorithme (pour le sortir gentiment de sa zone de confort). C’est une manière très maline de permettre à l’utilisateur de naviguer à travers la longue traîne sans effort, tout en garantissant une expérience harmonieuse d’écoute.
– Les playlists thématiques par sous-genres, qui regroupent des titres à partir d’artistes écoutés récemment par l’utilisateur.
– Les playlists mises à jour chaque semaine : Lundi découvertes (titres d’artistes appréciés de l’utilisateur qui auraient échappés à son attention, ou d’artistes proches de sa zone de confort) , Vendredi sorties ( recommandation de titres parmi les singles sortis pendant la semaine écoulée ou les albums sortis ce jour-là, dans la zone de confort de l’utilisateur) et Dimanche détente (sélection personnalisée de titres down tempo, weekend oblige).
Pour composer de telles playlists, l’algorithme analyse et croise de nombreuses données : artiste, genre, timbre de voix, rythme, fréquence d’écoute, ce que les amis de l’utilisateur écoutent, les playlists auxquelles il est abonné, ses habitudes d’écoute (quel genre à quelle heure)… Cela lui permet de comprendre le profil utilisateur et de lui proposer le contenu pertinent. Comme nous l’explique Thomas, pour faire de la découverte en matière de recommandation, « on part de la zone de confort de l’utilisateur, et on élargit le cercle ».
S’il est capable de prendre en compte une multitude de paramètres, comme tout algorithme, celui de Deezer a besoin d’un volume critique de data pour créer un profil utilisateur et commencer à vous pousser de la musique qui vous corresponde. Il y a un véritable enjeu de relation client, pour le faire adhérer au produit et qu’il ne parte pas pendant la phase de rodage / apprentissage. Dès l’onboarding, il est donc proposé au nouvel utilisateur de sélectionner ses artistes préférés, ce qui permet à l’algorithme de commencer à apprendre de ses goûts et ainsi lui suggérer du contenu adapté. Comme nous l’explique Alexandra Leloup, Head of Product chez Deezer, les premières playlists poussées seront plutôt celles des Editors et les playlists de genres, le Flow arrivant logiquement dans un second temps.
Cependant, contrairement aux idées reçues, il n’y a pas ici de dichotomie entre humain et machine. Si l’algorithme joue un rôle indéniable dans la qualité de l’expérience utilisateur, c’est avant tout car humain et machine s’auto-enrichissent. En effet, les Editors sont parties intégrantes du processus de création et d’amélioration continue de l’algorithme puisque lorsqu’on parle de machine-learning, c’est bien de l’expertise de ces profils très particuliers qu’il s’agit de s’inspirer. Réciproquement, c’est l’algorithme qui permet de pousser les playlists créées par les Editors au bon utilisateur au bon moment.
Un rapide tour sur la plateforme permet de voir que la promesse de la recommandation et de la personnalisation est bien au rendez-vous. A date, sur les 4 onglets présents sur l’application (Musique, Shows, Favoris et Recherche), deux sont dédiés à la recommandation de contenus – respectivement de musique et de podcasts. Sur chacun de ces onglets, les deux premiers rails présentent du contenu personnalisé et recommandé.
Prenons l’exemple de l’onglet Musique : le premier rail intitulé « Pour vous », donne le ton. Le Flow, playlist développée par Deezer, véritable élément différenciateur de son offre, est l’élément le plus visible de la page et saute aux yeux : tout est fait pour attirer le regard de l’utilisateur vers cette section qui lui est dédiée. C’est ici que l’on retrouve les playlists évoquées précédemment.
Par défaut, Deezer a fait le choix de guider l’utilisateur dans la découverte des 56 millions titres de son catalogue à travers les playlists, c’est un parti pris qui se ressent en terme d’UI – sur la version Desktop, le moteur de recherche passerait presque inaperçu. Toutefois, un utilisateur qui comme moi aurait tendance à beaucoup utiliser le moteur pour chercher des artistes, albums ou titres en particulier verra très vite l’interface évoluer en conséquence – sur l’app, je suis par défaut connectée sur le dernier onglet utilisé.
Au delà des éléments généraux d’UX et UI de la plateforme, un soin particulier a été apporté au branding des playlists, celles-ci étant au cœur du produit et de son utilisation. Celui-ci est géré par plusieurs services qui s’accordent pour trouver la solution la plus appropriée et la plus impactante. Ici quelques éléments de wording relevés sur les éléments liés à la personnalisation et la recommandation qui illustrent bien la proposition de valeur :
– Naming des rails : « Pour vous », « Playlists recommandées », « Vos artistes préférés », « Nouveautés choisies pour vous » , « 100% fait pour vous »- l’utilisateur comprend d’entrée de jeu ce qui relève de la personnalisation, des recommandations en fonction de la temporatilité « Idéal pour le weekend-end » et les blocs qui sont plus des temps forts de l’actualité / des partenariats.
– Description des playlists créées par l’algorithme : « Un mix infini avec vos favoris et de belles découvertes » (Flow), « Découvrez des titres recommandés à partir des artistes que vous avez écoutés récemment » (daily) « Chaque semaine, retrouvez des nouveautés sélectionnées pour vous à partir des artistes, albums et titres que vous ajoutez à vos favoris » (Vendredi Sorties).
Comme vous l’aurez compris, la recommandation est un élément central sur la plateforme Deezer. Cette partie du produit est donc gérée par une Impact team dédiée composée d’un Product Manager, des différentes stacks techniques et d’un QA Analyst. Cette Impact team travaille en étroite collaboration avec l’équipe Data Recommandation qui est en charge de la conception des algorithmes. L’objectif de cette collaboration est d’améliorer la performance des algorithmes en ayant toujours en tête une vision produit, et réfléchissant à l’évolution qui apportera le plus de valeur à l’utilisateur.
Pour ce qui est du branding des playlists évoqué plus haut, ce sont les Product Designers qui s’occupent du design des covers et font des propositions pour les titres et descriptions en collaboration avec les Editors et le Produit. Ces éléments sont ensuite testés en session de tests utilisateurs pour valider leur pertinence et leur facilité de compréhension, avant de passer à la Copy, un service de Deezer qui centralise l’ensemble des communications contenus et leur cohérence. C’est le PM en charge de la fonctionnalité qui validera la version proposée. Ainsi, pour revenir au sujet qui nous intéresse la validation du branding de Flow reviendrait au PM en charge de la recommandation.
Sur le volet tests utilisateurs : chaque nouvelle fonctionnalité majeure est prototypée et fait l’objet d’une voire deux sessions de tests afin de mieux comprendre les attentes des utilisateurs vis-à-vis du produit et s’assurer que la fonctionnalité sera bien prise en main. Une fois les retours intégrés et la fonctionnalité développée, elle est dans un premier temps testée auprès des collaborateurs – de l’avantage d’avoir un produit tel que Deezer dont les employés sont les premiers utilisateurs – avant la conduite de tests auprès d’un panel externe.
Une fois déployée sur la plateforme, les performances de chaque fonctionnalité sont mesurées, essentiellement via des KPI d’usages (Daily Active Users), engagement (Listening Time) et rétention (Daily Active Users / Weekly Active Users).
Je ne pouvais décemment parler de toutes ces fonctionnalités et la Vision Produit Deezer sans moi-même me confronter un peu aux performances de l’algorithme. Ancienne abonnée freemium, j’avais finalement opté pour un service concurrent il y a 3 ans. J’avais donc la chance d’avoir quelques playlists déjà existantes ainsi qu’une centaine d’album en favoris – je ne partais donc pas de zéro. Après avoir volontairement fait quelques recherches pour « éduquer » l’algorithme sur mes écoutes des trois dernières années, je me suis concentrée sur les deux playlists que je ne retrouve pas à la concurrence, à savoir Flow et Dimanche Détente. Bien que très exigeante, j’ai été positivement surprise par la pertinence des recommandations et pour de vrais music aficinados, à la recherche de découvertes personnalisées, il y a une vraie complémentarité entre les services de streaming…
Merci à Alexandra Leloup et Thomas Bouabça pour le temps qu’ils nous ont accordé pour la rédaction de cet article.